Voilà, il est 20h. La basillique doit avoir retrouvé un certain calme, c'est le moment. En arrivant sur l'esplanade, il restait 4 personnes. Disneyland avait plié bagage, le silence retrouvé sa place. Un dernier coup d'oeil à la façade qui n'est pas extraordinaire et je rentrai dans le narthex, l'espace où le fidèle, dans un clair obscur savant, se met en condition. J'avancai et franchis le porche d'un pas décidé. J'entrai par le bas-côté ouest. Là, par la simple vision de la colonnade de ce qui n'est que le bas-côté, je reçu un choc de beauté en pleine gueule, un shoot de perfection. Je ne sais pas vous dire les choses autrement. Je sais jouer avec les mots, mais je ne suis pas poête. Je reçus comme une évidence instantannée que cet endroit touchait à l'absolu. Il y a certains lieux comme cela dans le monde (j'ai entendu cela pour le Taj Mahal, Sainte Sophie, Karnak ou l'Alhambra). Peu doivent avoir autant de force. J'ai eu une chance fabuleuse, il n'y avait pas 15 personnes dans la basillique, dont un choeur de 6 personnes répétant des chants religieux et profanes (inutile de vous préciser qu'il y avait du niveau, on accède pas à Vézelay pour enregistrer "Je l'aimais bien ma petite vavache"). Doucement, j'entrai dans la nef. Je m'assis sur une chaise, à presque toucher un pilier. La pierre, la lumière du soir, ce moine un peu plus loin, ce kyrié interprété par de grands artistes qui savaient jouer de cette basilique comme un maître peut faire donner un stradivarius, la perfection dans tout. Je fondis en larmes. Il nous est, à tous, arrivé de verser des larmes de joie ou de plaisir ; mais des larmes de perfection, des larmes de jouissance de toucher à l'absolu, à l'harmonie du monde ; croyez-moi, c'est une expérience intérieure absolument inouïe ...et quasiment indescriptible. J'étais en train de vivre la sensation visuelle, acoustique et spirituelle la plus forte de mon existence. Cela dura un long moment, une heure.
Je me souviens d'une chronique magnifique de Guy Carlier sur France Inter il y a plus de 10 ans. Il y racontait avoir assisté à Vézelay à une scène inoubliable. Il avait eu la chance de se trouver dans la basillique un matin sans foule où le grand Rostropovitch se sentait avoir acquis assez de maîtrise dans son art pour enregistrer certaines suites de Bach, qu'il n'avait, jusque là, jamais osé enregistrer. Le seul écrin pour lui digne de ces suites étant Vézelay. Alors que le violoncelle enchantait la pierre, il vit un homme pleurer dans un coin. Cet homme, c'était Serge Gainsbourg. Il était à la toute fin de sa vie, et le savait bien. A la fin de la répétition, en quittant la nef, il glissa à Carlier : "pas degeu le Rostro". Carlier appris par la suite que Gainsbourg était un grand habitué discret de Vézelay.
C'est l'un des grands paradoxes de ce lieu : les grands peuvent s'y sentir petits et vice-versa. Il y a de l'universel dans ce Grand Lieu. Il appartient à tous ...et donc à moi.